1968. Pour
les uns, l'euphorie, la terreur pour le narrateur. Il vient
d'avoir 13 ans et "l'autre" sort juste de
prison. "L'autre", c'est son père,
voleur, menteur, cogneur. Un père fou,
imprévisible, terrifiant. Et l'enfant résiste
dans un Paris en proie à la "Révolution".
Dans l'enfer réel, il s'invente un enfer
imaginaire pour survivre. Ses veines sont bleues : il a donc
"la maladie bleue". C'est un enfant bleu,
martyrisé, humilié.
Petites
scènes juxtaposées qui réussissent
à rendre supportable l'insupportable, La
Maladie bleue est à mettre au rang des petits
chefs-d'oeuvre que les enfances meurtries savent faire
naître.
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Editions du Seuil, collection dirigée par Claude
Gutman, février 2000.
La Maladie bleue est sortie en librairie le 18 février 2000. Vous pouvez la commander sur fnac.com
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Une
autre guerre
....
Lundi 25 mars
1968
....
Une clé
discrète se glisse dans la serrure, tourne en
cliquetant. Le visage de maman se décompose, nous
comprenons instantanément : l'autre est revenu,
l'autre est là. Il franchit l'entrée en trois
pas, s'inscrit maintenant dans le cadre de la porte de la
cuisine, il n'est qu'un sourire, un affreux sourire
posé sur des lèvres minces. Au bout de ses
bras, deux colis de carton mal ficelés.
....
- Bonjour, ma
chérie.
....
Maman, silencieuse,
va se planter devant le réchaud à gaz. L'autre
se dégage de son gros manteau gris, s'assoit,
défait ses paquets d'où il sort des cintres de
plastique noir ; un stylo Bic bleu au bout
mâchonné ; un calendrier des PTT de
l'année 1967 ; une petite boîte de
pâté ovale ; trois bouts de crayon noir de
type HB ; un paquet de Gauloises fripé garni de
mégots ; un collier de trombones ; des
chemises et des chaussettes sales ; un rasoir à
main ; du papier à cigarette de marque
OCB ; un paquet de lames Gillette ; des bobines de
corde usagée et deux cahiers d'écolier avec
les paroles des chansons de Sylvie Vartan et
Françoise Hardy.
....
Il commente
longuement chacun des objets - la boîte de
pâté gagnée à la belote, les
bobines de corde pour faire le yoyo par la fenêtre
d'une cellule à l'autre, la carte postale
dédicacée de Françoise Hardy - il
parle, il parle, il parle. Deux ans de vie à la
prison de la Santé défilent ainsi dans un
torrent de mots et d'horribles sourires.
....
Maman n'a toujours
pas ouvert la bouche. Elle tourne le bouton du poste de
radio.
....
- Au Vietnam, la base
américaine de Khe Sanh vient de subir son
quarante-cinquième jour de siège. C'est un
véritable déluge de fer et de feu qui s'abat
sur
Elle éteint le poste et je revois cette immense
inscription, découverte ce matin même, sur le
mur du magasin Goulet-Turpin au coin du boulevard Ney :
PAIX AU VIETNAM ! De grandes lettres blanches, peintes
au rouleau. Ceux qui les ont tracées ne savent pas
qu'une autre guerre, aussi terrible, vient de recommencer
à deux pas.
....
Il se lève,
s'approche de maman, l'attrape par le bras.
....
- Embrasse ton
mari ! exige-t-il.
....
Elle s'y refuse, elle
tremble, elle a peur. Il lui saisit le menton, écrase
violemment ses lèvres sur les siennes avant de
rejoindre, satisfait, sa chaise en s'essuyant la bouche d'un
revers de manche. Il me sourit, je me réfugie dans la
contemplation de mes mains de porcelaine blanche
striées de bleu. Une grosse veine palpite
dangereusement à ma tempe droite. Dans ma tête,
la silencieuse explosion d'un gros hélicoptère
américain touché par un obus
nord-vietnamien.
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